Klaus Bundoc, étranglé par l'émotion,
fit quelques pas mal assurés dans la pièce surchauffée. Comme il s'approchait
du podium, une image récurrente dansait dans sa tête: celle de l'heureuse
lauréate d'un concours de beauté dont les lèvres s'étirent par à-coups,
dont les yeux déversent des torrents de larmes partiellement endigués
par d'incontrôlables battements de paupières. Redoutant un instant l'effet possible
de ce tourbillon d'émotions sur ses sphincters, Klaus réussit à se calmer.
Son pas se raffermit et, pour masquer le restant de son trouble, il
s'empara derechef de la plaquette Larébo qu'il venait de remporter,
coupant l'herbe sous le pied du maître de cérémonie. Celui-ci se racla
la gorge, s'approcha de Klaus et lui tendit le micro. – Merci beaucoup, dit Klaus, avant de
quitter précipitamment le podium pour s'offrir un premier bain de foule
en tant que lauréat du Larébo de la meilleure nouvelle. – Toutes mes félicitations, fit Noël
Champollion en lui tapant sur l'épaule. Je n'aurais jamais cru voir
ça de mon vivant. – Moi non plus, bafouilla Klaus. – C'est d'autant plus méritoire, reprit
Noël, que jamais auparavant une nouvelle de fantasy n'avait remporté
un Larébo. Klaus haussa un sourcil. – Fantasy? Comment, fantasy? Mais non,
Noël. Le Pied de céleri, c'est une histoire de mutant, une histoire
de SF! – Ha ha ha! Quel farceur, ce Klaus! Mais déjà, Klaus avait haussé l'autre
sourcil. – Ben voyons, protesta-t-il, je sais
ce que je dis! Le Pied de céleri, c'est de la SF! – Ah non alors! trancha Noël. Dans ce
cas, ça ne marche pas. Cette mutation n'est amenée par rien. Elle est
injustifiable, gratuite, surnaturelle. Si tu avais voulu écrire de la
fantasy, ton Larébo serait pleinement mérité. Mais puisque tu avais
une intention SF, le simple fait que tu aies accepté de prix relève
de la malhonnêteté intellectuelle. Klaus sentit quelque chose comme un
tapis qui glissait sous ses pieds, une tuile qui tombait sur sa tête,
ou une araignée qui tissait une toile dans son plafond. Il jeta un coup
d'oeil à la ronde. La foule présente faisait semblant de ne rien avoir
entendu mais, petit à petit, tous se rapprochèrent. Le piège se refermait.
Klaus serra la plaquette Larébo entre ses mains et recula d'un pas. – T'es sûr que t'as bien compris l'histoire?
risqua-t-il à l'adresse de Noël. Celui-ci, l'air grave, avança vers Klaus. – Rends-nous cette plaquette Larébo!
hurla Champollion. – Jamais! cria Klaus en s'enfuyant vers
le fond de la salle. Il se fraya un chemin à coups de coude,
puis bondit sur une table. Klaus se rendit compte qu'il avait mal calculé
son saut; son pied ne rencontra que le vide, et son front se moula à
l'angle de la table. Le tout bascula dans un garnd fracas, plaquettes
Larébo, verres, livres, ainsi que l'argent des recettes de la soirée. Un comptable présent dans la salle se
rua sur les pièces tintantes, aussitôt imité par l'ensemble des convives.
Klaus profita de la ruée pour se faufiler hors de la salle en pressant
son trophée sur son coeur. Couyp d'oeil à gauche. Coup d'oeil à
droite. Il détala vers une chambre de l'hôtel, où il se réfugia dans
la salle de bain. Il s'assit sur la cuvette, puis sortit quelques feuilles
et un crayon de sa poche. Il se mit au travail. « Jamais ils ne m'auront! » griffonna-t-il
en conclusion. Comme il se poenchait vers le bidet
pour y dissimuler son manuscrit, l'appareil, sans la moindre raison,
lui cracha au visage une immonde ondée. Tout devint noir. * * * Quand Klaus ouvrit les yeux, dans la grande salle surchauffée, une vingtaine de visages se penchaient sur lui. Noël Champollion tenait dans sa main un verre d'où quelques gouttes s'écoulaient encore. –
Ça va mieux, Klaus? C'est fou ce que
ça peut faire, la chaleur.
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